Voilà quelques jours qu'une femme soucieuse du devenir des orphelins des bas fonds de la cité était venue la quérir suite à de nombreuses disparitions d'enfants qui avaient commencé quelques semaines plus tôt. La milice locale n'y prêtait pas attention malgré toutes ses tentatives pour leur faire entendre raison et elle avait fini par se tourner vers des méthodes plus obscures tel que les détectives privés qui avait remonté la source jusqu'à un certain Auguste Mefay.

C'est là que la dame d'un certain âge avait utilisé son dernier recours pour arrêter cette abominable série d'enlèvements ; faire appel à un chasseur de prime pour abattre la tête du problème. Idell s'était montré conciliante devant la détresse de la femme et avait accepté le contrat contre une somme grotesque qu'elle n'aurait jamais toléré en temps normal. Mais il s'agissait d'enfants, et son interlocutrice semblait tellement désespérée... elle pouvait bien faire un effort.

De toute façon elle n'était pas à la rue et avait bien assez pour manger et boire à souhait lorsque le cœur lui en disait. Des contrats aux primes bien plus hautes l'attendaient par la suite et elle avait assez sous le coude pour ne pas s'en faire au sujet de l'argent.

C'est de cette façon qu'elle s'était retrouvée en quête de ce cher monsieur Mefay qui habitait dans les quartiers moyens, un peu plus haut dans la capitale. Une tâche plutôt difficile donc, elle qui avait l'habitude de s'occuper des vieux coupe-jarrets des bas fonds de Lukhunao ou de contrats à l'extérieur de la cité. Ici, il lui faudrait faire preuve de discrétion et de tact pour ne pas s'attirer les foudres d'une des milices surveillant le secteur.

Le soir venu, elle enfila une tenue assez classique sans oublier son manteau habituel dans lequel elle planqua ses deux pistolets. Impossible de prendre son sabre sans attirer trop l'attention ; elle troqua sa grande lame contre deux plus petites qu'elle glissa dans un revers de ses bottes épaisses. Ainsi dissimulées, ces petites dagues pourraient lui servir si les choses dégénéraient.

Quittant son domicile non loin des bas quartiers, elle se rendit comme on se promène en ville vers le lieu de son contrat que la dame lui avait indiqué lorsqu'elle lui avait fait le compte rendu de toute les informations obtenues par le détective privé.

Elle jeta un œil dans les alentours pour vérifier que la voie était dégagée. S'introduire dans la maison ne serait pas une difficulté ; elle avait dans sa jeunesse crocheté assez de serrures pour pouvoir le faire les yeux fermés. Ce qu'elle n'attendait pas en revanche, c'était la présence d'une autre personne bien taillée pour la lutte en ces lieux. Ce lâche de Mefay aurait-il engagé une garde du corps ? Pour le savoir, elle allait devoir la jouer autrement qu'en s'infiltrant dans la maison bourgeoise.

Une approche plus frontale, mais nécessaire pour entrer dans le bâtiment sans prendre le risque qu'une guerrière lui tombe dessus par surprise pendant son assassinat. Elle allait y aller plus finement et trouver des informations importantes avant de décider si la femme aux grandes ailes allait mourir aussi dans le processus. Si elle pouvait éviter de tuer des innocents... Les dommages collatéraux n'avaient jamais été trop son truc.

C'est ainsi qu'Idell frappa à la porte à cette heure tardive mais voyant bien que personne n'était couché à en juger par la lumière qui passait par les fenêtres. Lorsqu'on lui ouvrit, elle déclara simplement ;

« Bonjour, je suis bien chez monsieur Mefay ? Auguste Mefay ? »

Elle se râcla légèrement la gorge et se donna un air plus avenant qui était assez difficile à imaginer sur elle.

« Je souhaite m'entretenir avec lui, c'est au sujet de... vous savez quoi. »

Dit-elle comme sur le ton de la confidence. Un coup de bluff total ; ça passait ou ça cassait. Elle aviserait sur le moment.

Merde. La fouille. Comment avait-elle pu être aussi imprudente ? Heureusement pour elle, le repli de ses chaussures était assez profond pour dissimuler les dagues... mais ce n'était pas le cas de ses deux pistolets dans le manteau, aussi elle préféra jouer "franc jeu" en les remettant à la femme ailée.

« Tenez, c'est tout ce que j'ai sur moi. Faites y attention ils sont chers à mes yeux. Vous pouvez me fouiller pour vérifier le reste. »

Elle lui tendit les deux armes en question et se laissa ensuite manipuler par celle qui semblait définitivement être la garde du corps de monsieur Mefay. Prête à en découdre si cela devenait nécessaire, elle se dit néanmoins que la guerrière qui lui faisait face était bien imposante. Certes, elle s'était battu contre des monstres marins bien plus impressionnants... mais elle avait un équipage avec elle, et son bateau. Ce n'était même pas comparable à vrai dire. Et au fond d'elle, même en pariant sur la vitesse et l'agilité, elle doutait pouvoir remporter un duel contre une telle montagne de muscle portant une épée qui devait bien faire son poids à elle.

« Je suis assez pressée. C'est une affaire urgente pour laquelle je dois m'entretenir avec monsieur Mefay. »

Dit-elle pour déconcentrer un peu la demoiselle ailée lorsqu'elle arriva à la fouille du bas de son corps. Non, tout allait bien se passer. La planque pour ses petites dagues de poing était bien cachée... du moins elle l'espérait.

Comment était-ce possible que le détective privé soit passé à côté d'une information aussi importante que cette montagne de chien de garde qu'Auguste Mefay avait visiblement engagé ? A moins que la dame qui l'avait envoyé pour cette mission ait omis de lui préciser ce "détail" tant elle semblait bouleversée ? Peu importe ; cela lui apprendra à foncer tête baissée sans aller faire du repérage par elle même. Pourquoi avait-elle accepté ce contrat mal rémunéré ?

Ah oui, les enfants. Elle ne pouvait décemment plus rebrousser chemin maintenant ; il lui faudrait affronter la suite des événements.

Par chance, la guerrier aux larges ailes n'avait pas trouvé les petites dagues dans ses bottes et elle dû retenir un soupir de soulagement pour ne pas éveiller de soupçons, conservant son visage neutre et se concentra sur les paroles de son interlocutrice. Apparemment, monsieur Mefay était assez demandé ces derniers temps... et Idell savait très bien pourquoi.

Mais étrangement, la garde du corps n'avait pas l'air plus informée que ça des agissements de son employeur. L'ancienne pirate allait devoir la jouer fine si elle ne voulait pas condamner une innocente dans le processus.

Les mots de son interlocutrice la tirèrent de ses pensées et elle hocha la tête alors qu'elle pénétrait dans la demeure en jetant un dernier regard à ses pistolets. Si les choses tournaient mal, elle espérait tout de même avoir le temps de remettre la main dessus avant de s'échapper...

« Oui, je ne voudrais pas que mon arrivée improvisée importune monsieur Mefay. »

Déclara-t-elle lorsque la brune lui demanda si elle voulait être conduite jusqu'au bureau. Elle décida de jouer le tout pour le tout avec une histoire montée de toute pièce afin d'éviter de devoir s'inventer un faux nom dans l'immédiat. Cela viendrait bien assez vite, elle n'en doutait pas.

« Je viens de la part d'un des clients de monsieur, on ne m'a pas averti d'un code quelquonque... mais j'imagine que vu l'urgence de la situation il ne m'en tiendra pas rigueur. Quelqu'un doit le prévenir de ce qui est arrivé. »

Si la guerrière était vraiment hors de cause, Idell devrait pouvoir s'en rendre compte avec son histoire inventée. Elle avait besoin d'être sûre que la jeune femme qui l'accompagnait dans cette demeure bourgeoise était bel et bien innocente quant aux kidnapping d'enfants. Sinon... il lui faudrait probablement revenir avec de l'aide supplémentaire pour en venir à bout.

Idell avait appris d'expérience de ne pas s'en prendre n'importe comment à plus fort que soi sans être persuadé d'avoir une faille. Et à l'instant T, elle ne voyait aucune faiblesse dans ce corps robuste et cette attitude assurée.

Cette fichue guerrière fait preuve de trop de méfiance au goût d'Idell qui se voit contrainte de trouver un plan de secours pour arriver à ses fins. La garde du corps est trop ancrée dans son protocole et sans ce mot de passe, elle ne peut espérer avoir une entrevue avec Mefay en tête à tête. Elle doit retenir une grimace d'agacement et affiche à la place un air désemparé, jouant la carte de l'urgence.

« Mon commanditaire souhaite rester anonyme, c'est pour cela qu'il m'envoie, mais je ne plaisante pas quand je dis qu'il s'agit d'une affaire très pressée... »

Idell se mord la lèvre, prête à risquer gros avec la proposition suivante :

« Si vous ne me faites pas confiance, vous n'avez qu'à rester avec moi pendant l'entrevue avec monsieur Mefay, comme ça vous pourrez me surveiller. J'imagine que vous êtes au courant du type d'affaire dont je parle, alors il n'y verra pas d'inconvénient. »

Ecartant les bras comme pour prouver sa bonne foi, elle se voit même rajouter ceci dans le but d'endormir la vigilance de son interlocutrice au maximum.

« Et puis vous m'avez déjà fouillé, vous savez que je n'ai rien de plus sur moi ! »

Elle doit entrer dans le bureau de Mefay, le plus rapidement possible, et mettre un terme à ses agissements. Elle avisera bien sur le moment d'une solution pour échapper à la garde du corps une fois le travail accompli. Mais la guerrière semble bien trop têtue, aussi elle doit se montrer plus bornée que cette dernière afin d'arriver jusqu'à sa cible.